Entre résilience et renouvellement :
Les OPCA à la veille de la réforme sur « La liberté de choisir son avenir professionnel »

Anne Moysan-Louazel, Gérard Podevin, Carole Tuchszirer

2020 I Formation Emploi (Céreq) – n°152 (octobre-décembre)

Dans cette contribution, Anne Moysan-Louazel, Gérard Podevin et Carole Tuchszirer présentent les principaux changements auxquels les Organismes Paritaires Collecteurs Agréés (OPCA) se sont confrontés depuis leur création en 1993. Ils montrent que les OPCA se sont progressivement défaits d’une image de « banquiers », historiquement prégnante dans le paysage institutionnel de la formation, pour aller vers une vision d’OPCA « d’offreurs de services à forte valeur ajoutée », en particulier en matière d’accompagnement des stratégies d’entreprises, de gestion des ressources humaines et des parcours individualisés de formation. Cet article est issu d’un rapport réalisé en 2018 par le Céreq, le Ceet et le Crem pour le compte de la DGEFP, et dont l’objet était de mieux comprendre les nouvelles missions d’intérêt général des OPCA auprès des entreprises et des salariés, suite aux différentes réformes. Dans une première partie, les auteurs repèrent 3 moments de rupture dans l’histoire de ces organismes :
 
  • La loi quinquennale de 1993, qui confie aux OPCA une mission de délégataire de la gestion d’une ressource fiscale. Cette loi inaugure leur rôle de supplétif de l’action publique. Ce rôle n’en finira pas de s’étendre à travers les réformes qui vont se succéder et qui répondront à 2 objectifs : améliorer l’efficience du système et orienter prioritairement les sommes collectées vers des publics-cibles (salariés les moins qualifiés et les salariés de TPE notamment). Trois principes guideront ces réformes : simplifier le paysage institutionnel en réduisant le nombre des OPCA ; rationaliser les financements en organisant une mutualisation asymétrique et une péréquation interprofessionnelle ; et, enfin, confier progressivement aux OPCA des « missions d’intérêt général », dont les plus significatives sont : l’alternance et la professionnalisation ; la gestion des droits des salariés (DIF, CPF, VAE), l’accompagnement des TPE et PME et des actions pour les demandeurs d’emploi, en partenariat avec Pôle emploi, et la vérification de la qualité de l’offre de formation.
 
  • La loi de 2009, qui dote les OPCA de nouvelles responsabilités : nouveaux publics à prendre en charge (demandeurs d’emploi notamment), mise en place d’une offre de services de proximité qui accorde une importance accrue à l’accompagnement et au conseil aux entreprises. Ces nouvelles missions se justifient notamment dans un contexte marqué par trois tendances fortes : le déploiement de nouveaux dispositifs emploi-formation dans une situation d’aggravation de la crise ; le développement du multi-financement qui tendra à se généraliser en combinant des fonds d’origines variées ; une importance croissante des politiques de branche avec de nouveaux enjeux portant sur la prospective des métier (création des OPMQ).
 
  • La loi de 2014 qui achève le basculement de la collecte et du seul financement des actions du plan de formation vers une offre de services enrichie, souvent dans le cadre d’une contractualisation individuelle. Ainsi, en complément de leur mission d’intérêt général, les OPCA ont désormais la capacité de percevoir des ressources distinctes de la contribution unique obligatoire. Selon les auteurs citant Jean-Pierre Willems, « le glissement progressif des contributions issues des cotisations légales à caractère fiscal vers des contributions issues des cotisations volontaires ou conventionnelles marque ainsi une véritable transformation » (Willems, 2014) (p.9).
 
  • Le rappel de ces jalons historiques indique que le modèle économique des OPCA, qui prévalaient alors à son origine, conditionné par le niveau de collecte et les missions de financement des plans de formation, ne fonctionne déjà plus à la veille de la réforme de 2018. On le voit, l’essentiel des coûts concerne désormais les dépenses d’information, d’accompagnement et de conseil, d’études et recherches, de prospective, de pilotage de projets, de diagnostics, etc. L’enjeu principal consiste désormais à « satisfaire au plus près les besoins des entreprises à travers une offre personnalisée d’assistance et de conseil » (p. 103).
 
  • La contribution volontaire devient un enjeu stratégique du renouvellement de l’offre de services et de l’équilibre du modèle économique des OPCA. D’un côté, elle conduit les OPCA à développer une offre de service qui se démultiplie en une variété de niveaux, de conditions d’accès, et d’agencements de prestations et de financements. Cette offre de services débute souvent par un accompagnement global de l’adhérent (sa stratégie, son activité, son organisation, sa GRH et ses projets), qui conduit l’OPCA à développer un savoir-faire qui s’apparente au métier d’ensemblier ou d’intégrateur de différentes compétences pour un « client » donné. De l’autre, la recherche de contribution volontaire accentue l’explicitation de la contractualisation avec l’adhérent, et le « droit de tirage » garanti à hauteurs des contributions annuelles volontaires de chaque entreprise. On note ici une rupture avec le principe de mutualisation des versements obligatoires au profit d’une logique d’individualisation du conventionnement.
 

Dans une seconde partie, les auteurs identifient l’accord national interprofessionnel (ANI) de 2009 comme un point de bascule et interroge la capacité d’adaptation des OPCA au nouveau contexte politique.

  • La portée de l’ANI de 2009 et l’inflexion qu’il introduit dans l’offre de services des OPCA s’apprécie à l’aune de certaines mesures: décloisonnement des circuits de financement à travers la participation des OPCA au financement de la formation professionnelle des demandeurs d’emploi, création d’un Fonds Paritaire de Sécurisation des Parcours Professionnels (FPSPP), et mise en place par le FPSPP de co-financement par voie d’appels à projets destinées aux OPCA dans le but d’augmenter l’accès à la formation des demandeurs d’emploi et des salariés les moins qualifiés. Ces mesures ont vu le jour dans un contexte d’accroissement du rôle de l’Etat dans la régulation du système de formation professionnelle, et d’annexion progressif de celui-ci aux politiques de l’emploi.
 
  • L’enquête montre que les OPCA ont fait preuve d’une grande adaptation par rapport à ces changements. Ils ont intégré les dispositifs issus du FPSPP (POE, CSP, DIF portable) davantage selon une logique d’organisation du marché du travail que dans une perspective gestionnaire. La POE a notamment conduit les OPCA à se rapprocher du Service Public de l’emploi et de Pôle emploi en les élevant, par effet d’apprentissage, au statut d’intermédiaire du marché du travail. Il semble acquis désormais au sein des OPCA que la formation professionnelle ne vise plus seulement la qualification de la main-d’œuvre, mais également le placement des demandeurs d’emploi.

Dans une troisième partie, les auteurs interrogent la capacité des OPCA et de leurs professionnels à se saisir de nouveaux dispositifs et à discuter avec d’autres acteurs de la sécurisation des parcours professionnels.

  • Les auteurs notent que les OPCA, et les professionnels qui y travaillent, ne sont pas « des récepteurs passifs des cadres institutionnels ». Les OPCA sont qualifiés « d’organisation ambidextre » pour souligner leur capacité de poursuivre simultanément des missions différentes qui peuvent sembler « paradoxales, et qui sont génératrices de tensions. Cette ambidextrie s’installe dans un contexte où les OPCA doivent répondre à des formes organisationnelles nouvelles (fusion d’OPCA), à de nouveaux partenariats entre eux et Pôle emploi, ou encore par des projets communs (demandeurs d’emploi, TPE) pour améliorer l’efficience de leur action. Ces évolutions ont conduit les directions d’OPCA à modifier les recrutements et la formation des conseillers en poste à la gestion de la « relation client ». Il s’agit pour eux de créer des identités multiples dans leur organisation devenue ambidextre, en misant sur l’aptitude des professionnels à partager leur temps entre des missions historiques (financement) et de nouvelles missions (accompagnement) et publics, (notamment demandeurs d’emploi), impliquant une inscription plus soutenue dans les réseaux et une capacité à les activer.

Dans une quatrième et dernière partie, les auteurs mettent en lumière le travail des professionnels des OPCA et le rôle qu’ils jouent dans leur transformation. Cette dernière partie fonde l’originalité de l’article qui traite d’une réalité rarement traitée.

  • L’enquête réalisée montre que l’évolution des missions des OPCA a provoqué des tensions, des incompréhensions et des désillusions. Certains conseillers ont accusé une perte de repères, un sentiment de dégradation des conditions de travail et une nouvelle professionnalisation « problématique », en particulier auprès de celles et ceux attachés à une culture dite de « service public ». Comme le rappelle le terme de « modèle économique », une nouvelle dialectique entre le marchand et le non-marchand s’est instaurée au sein des OPCA, ce qui alimente les conflits et les paradoxes à l’échelle du métier de conseiller.
 
  • Cette tension entre les missions d’intérêt général des OPCA et les logiques marchandes concurrentielles entre OPCA s’est exacerbée depuis la réforme de 2014. Deux effets : d’une part, la montée en puissance des dispositifs emploi-formation de sécurisation des parcours et d’accompagnement des transitions professionnelles mobilisant une pluralité d’acteurs ; de l’autre, l’ouverture des besoins exprimés par les entreprises vers une plus grande expertise sur les fonctions RH. Ainsi, « si les OPCA et leurs professionnels parviennent à répondre à la complexité de leur environnement et à intégrer différentes logiques institutionnelles, ils présentent aussi une fragilité car leur légitimité est régulièrement questionnée par des partenaires avec lesquels ils partagent désormais des publics, des territoires, des dispositifs et des sources de financement » (p. 113).
 
  • Cette tension est gérée de façon différenciée selon les OPCA et leurs délégations régionales. Certaines imposent individuellement aux conseillers des objectifs de volume de collecte des contributions volontaires dans une logique purement commerciale. Tandis que d’autres privilégient des systèmes d’attribution de primes collectifs alloués à l’ensemble des conseillers sur un objectif global de collecte volontaire.
 
  • Du coté des différents partenaires, les conseillers formation sont davantage perçus comme des acteurs de la politique de formation territoriale. Ils participent aux réunions initiées par les organisations professionnelles ou la Région, ou s’expriment dans des réunions où sont exposés les problématiques de formation (ex de la POEC par exemple). Toutefois, soulignent les auteurs, les relations avec Pôle emploi ne vont pas encore de soi. Elles demeurent fragiles. L’enjeu se situe désormais « dans la coopération, à travers la maîtrise d’un langage commun sur un territoire et des acteurs mobilisés pour un projet partagé » (p. 115).
 
En conclusion, l’analyse de l’évolution des OPCA sur plus de 20 ans montre que les OPCA se sont relativement bien adaptés aux réformes de 2009 et 2014 grâce à une longue expérience du changement. La reconfiguration institutionnelle a certes modifié substantiellement l’organisation et l’identité des OPCA, elle n’a pas forcément engendré une véritable rupture dans leur trajectoire. En effet, les OPCA ont survécu aux problématiques qui étaient à l’origine de leur création, en jouant de nouveaux rôles, en remplis sant de nouvelles missions, en déployant de nouveaux outils et en construisant de nouveaux partenariats. Enfin, on peut douter de la transformation radicale des OPCA sous l’impulsion de la réforme de 2018. Si le changement d’appellation des OPCA, désormais « opérateurs de compétences » (OPCO) a marqué ce tournant, ils étaient déjà, de fait, opérateurs de compétences depuis 2014.

Entre résilience et renouvellement : Les OPCA à la veille de la réforme sur « La liberté de choisir son avenir professionnel » Anne Moysan-Louazel, Gérard Podevin, Carole Tuchszirer 2020 I Formation Emploi (Céreq) – n°152 (octobre-décembre) Dans cette contribution, Anne Moysan-Louazel, Gérard Podevin et Carole Tuchszirer présentent......

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